Introduction
J’ai tenté de cacher les secrets de mon passé à ma femme pendant aussi longtemps que possible. Je ne révélais mes peurs et mes larmes qu’aux seules pages de mon journal intime. Je ne parvenais pas à parler à ma propre femme, les yeux dans les yeux, de mon passé et de la personne que j’étais à l’époque. Je m’efforçais de cacher les cicatrices et les habitudes qui laissaient entrevoir les secrets avec lesquels je vivais.
Cependant, très tôt dans notre mariage, j’eus honte à un point tel que je crus ne jamais pouvoir m’en remettre. Ma femme découvrit ce que j’avais tenté si désespérément de cacher.
Je me reposais dans le salon. Se reposer est pour moi bien différent de la plupart des gens. Souvent, au début de notre mariage, quand j’étais fatigué ou dépassé par des problèmes personnels, je me reposais avec une couverture enroulée autour de la tête. Je couvrais mon visage pour cacher un secret.
Vingt-trois ans plus tôt, j’avais développé une capacité à dormir les yeux ouverts et à avoir conscience de n’importe quel mouvement dans mon champ de vision. C’était un système d’alarme que j’utilisais quand je dormais. Enfant, j’étais souvent capable de revenir à un état de conscience si je voyais Maman traverser mon champ de vision, quand elle rentrait dans ma chambre pendant la nuit. C’était un mécanisme de sécurité.
Pendant très longtemps, je répondis aux questions récurrentes de ma femme aussi bien que possible, sans lui dire la vérité. Je lui mentais en me disant que c’était par sentiment d’insécurité, et que j’allais bien finir par m’en débarrasser.
Tout cela changea en une journée. Il me fut impossible de mentir plus longtemps. Je me reposais ce jour-là sans ma couverture autour de ma tête.
Je la vis pénétrer dans le salon. Je la vis s’approcher de moi et me regarder. J’avais conscience de sa présence, mais je ne parvins pas à revenir à un état d’éveil suffisamment rapidement. Elle me regarda droit dans les yeux comme si j’étais complètement réveillé. J’étais allongé là, immobile, entre sommeil et éveil. C’est entre les deux que j’arrive à me reposer.
Sa réaction fut exactement celle que j’avais toujours crainte. Elle pensa que j’étais mort.
En quelques secondes, je m’éveillai et réagis. Je m’assis immédiatement en levant les yeux vers elle. J’étais sans voix et n’avais rien à dire.
Il m’est difficile de trouver les mots pour expliquer ce que je ressentis à ce moment-là. J’eus honte. Je bredouillai des mots sans queue ni tête, puis réalisai que c’était en pure perte. Elle avait vu mes yeux ouverts alors que je dormais, et rien de ce que je pouvais dire alors ne pourrait changer l’image brûlante qu’elle avait déjà en mémoire. Nous nous contentâmes d’attendre que l’autre réagisse. Le silence ne faisait qu’ajouter à la tension et à l’incompréhension.
Tout ce que je voulais, c’était la réconforter. Tout ce que je voulais, c’était quelques minutes pour tenter de m’expliquer.
Après un long silence, je répondis à autant de questions que possible. Je savais qu’elle ne pourrait pas comprendre sans en savoir bien plus sur mon passé que tout ce que je lui avais dit jusqu’ici. J’avais maintenant l’occasion de faire pénitence et de réparer les dégâts que mon silence avait causés. Elle réagit avec compassion et compréhension. En surface, j’étais soulagé de partager quelque chose d’aussi personnel avec la personne que j’aimais. À l’intérieur, j’étais bouleversé et je retrouvais la même émotion que quand j’étais petit garçon : la honte. Pendant quelques instants, je fus à nouveau ce petit garçon qui avait subi tant d’horribles maltraitances. Je redevins ce petit garçon qui cherchait le réconfort dans le silence et la chaleur dans la solitude. Assis avec ma femme à discuter, je commençai à réaliser qu’elle éprouvait pour moi un amour plus profond que je ne l’avais imaginé possible. A ce moment-là, elle devint, et demeure aujourd’hui, mon autre moitié.
J’avais toujours trouvé du soulagement dans l’écriture de mon journal. J’avais un journal intime depuis des années. Je pensais que mon passé devait être tenu secret. Personne ne devait savoir qui j’avais été à l’époque.
Ce journal me permettait d’exprimer ma souffrance et mes émotions sur des pages qui restaient silencieuses. Personne ne les lirait jamais et ne découvrirait les émotions que je tenais à l’abri du monde. Écrire était une manière sans danger de commencer à guérir.
Cependant, en relisant ce que j’avais écrit à certaines périodes de ma vie, je comprenais qu’il y avait un message dans les sentiments exprimés par l’enfant, alors timide, qui est devenu la personne que je suis aujourd’hui.
Au bout de neuf ans de mariage, ma femme et moi avons décidé de publier ces souvenirs dans l’espoir que cette expérience et les leçons que j’ai apprises pourraient aider les lecteurs à comprendre. Il y a des choses de la vie que nous devons apprendre par nous-mêmes. Il y en a d’autres que nous pouvons apprendre d’autres personnes, des leçons qui nous épargnent la douleur de l’expérience. Ce que j’ai appris, les expériences décrites dans ce livre, sont du domaine privé, et pourtant, j’ai l’espoir qu’elles seront suffisamment fortes pour permettre à d’autres d’ouvrir leur cœur et de soigner leurs blessures.
J’ai compris la valeur de ces souvenirs au moment où ma femme et moi, assis l’un à côté de l’autre, partageâmes les peurs et les larmes qui peuplaient le lieu, profondément enfoui à l’intérieur de moi, où j’avais gardé tous ces secrets.
Ma femme m’a aidé à dépasser ces sentiments et ces peurs à mesure que nous corrigions ensemble ce livre. À certains moments, j’étais incapable de lire un paragraphe ou même une phrase, que j’étais pourtant parvenu à écrire, sans fondre en larmes. Elle ne connaissait que quelques- unes des expériences que j’avais vécues et leur effet sur moi. Avant d’écrire ce témoignage, je gardais toutes ces émotions pour moi. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de les cacher. Je peux leur accorder une place dans mon cœur. J’ai découvert que plus je parvenais à partager, plus ma femme et moi pouvions travailler ensemble pour améliorer ce livre, et lui donner un but plus fort.
Une fois ce projet mené à bien, j’ai finalement réalisé l’impact de la maltraitance sur les enfants et ses effets durables.
La maltraitance affecte bien plus que la victime. Elle affecte des générations entières de sa famille.
Tous ceux qui ont subi des mauvais traitements ont leur propre façon de gérer les choses. J’ai la chance d’avoir une femme extraordinaire qui m’aime d’un amour puissant. Elle n’a peut-être pas conscience de toutes les petites choses qu’elle fait pour m’aider, mais à mesure que je me sens mieux, je deviens davantage capable de partager. À chaque fois, c’est comme si nous tombions amoureux de nouveau. Elle est à la fois le rocher sur lequel je m’appuie et l’oreiller réconfortant sur lequel je me repose.
Ma vie s’est considérablement améliorée et aujourd’hui j’arrive à vivre avec la vérité. Je parviens à maîtriser mes sentiments, et je sais où est leur place dans mon cœur. Avant d’écrire ce livre, j’étais tout juste capable de les empêcher de faire surface. Je n’ai plus besoin de les contrôler de cette manière ; je vis avec eux en harmonie dans ma vie de tous les jours. Je sais que ces sentiments et ces pensées font partie de la personne que je suis.
Partager cette histoire a été pour moi une véritable thérapie, et m’a rapproché de ma femme et de ma famille. Les expériences décrites dans ce livre ont touché de nombreuses vies. Elles toucheront mes enfants quand ils apprendront les détails de mon enfance et comprendront la différence énorme entre l’éducation que j’ai reçue et la leur. Elles toucheront leurs professeurs, leurs amis et leurs familles.
La maltraitance nous affecte tous. Nous ne voyons peut-être pas toujours les effets directs ou les cicatrices, mais nous vivons avec. Les victimes de maltraitance sont des gens avec qui nous travaillons, qui nous sont proches, qui sont nos amis, et peut-être même des gens avec qui nous vivons. Ce sont des gens qui portent les souvenirs des abus comme un rocher accroché autour de leur cou.
Des millions d’enfants à travers le monde portent ce fardeau dans leur cœur et croient qu’ils ne peuvent le partager avec personne. Même les plus petits d’entre nous peuvent croire qu’il est nécessaire d’enfouir ces choses si douloureuses qui leur déchirent l’âme. Ils les cachent profondément, là où personne ne pourra les trouver. Avec le temps, l’endroit où ils ont enfoui ces émotions se remplit et menace d’exploser.
La véritable paix de l’esprit et du cœur doit se gagner, il faut y travailler pour pouvoir l’atteindre. Cela ne se passe pas en une nuit, et il est indispensable d’avoir le soutien de ceux qui nous entourent, qui nous aiment et veulent comprendre.
J’espère que tous mes lecteurs pourront trouver la véritable paix de l’esprit et du cœur à laquelle je suis parvenu en racontant mon histoire.